A l’heure où je m’attelle à vous conter la vie de Gilles Azzopardi, je mesure la prétention de la tâche que je me suis assigné. Quel homme ! Quel personnage hors du commun, voire anormal ! Dans tous les cas, différent.
Tout a commencé à la Clinique Nana Mouskouri d’Iris-la-Cornée il y a 40 ans. J’ai retrouvé, après des mois de recherche, le médecin obstétricien qui a pratiqué l’accouchement. Il est le pensionnaire d’une maison de repos où il séjourne depuis ce jour funeste où Gilles est né. Le docteur a accepté de me confier ce qui était arrivé dans ce bloc de chirurgie, ce 20 mars 1967 de sinistre mémoire. “Tout a commencé normalement, comme n’importe quelle naissance… et puis…“ Le médecin cacochyme se tait, sa voix s’étrangle et il avale avec difficulté une salive chargée de remugles. Il veut poursuivre, exorciser le mal et me révéler l’inénarrable. Son corps chétif est secoué de spasmes et de rires où s’entremêlent des larmes de désespoir. Cet homme de science est fou, me dis-je en mon for intérieur, alors qu’il m’énonce enfin l’incroyable vérité : Gilles, bébé, n’était qu’une paire d’yeux. Oui, vous m’avez bien lu ! Le petit Gilles que l’on connaît et que l’on apprécie inégalement, n’était au départ qu’une paire de globes oculaires. Point de tronc, de visage, de bras ni de jambes. Le médecin valétudinaire me parle de l’embarras et de l’incrédulité qui saisirent les personnes présentes dans cette petite salle de chirurgie obstétrique. Il m’explique que tous, depuis cet épisode, sont devenus plus ou moins fous et que trois d’entre eux, se sont supprimés en se crevant les yeux avec des bâtonnets d’encens. Il se revoit annoncer la terrible nouvelle à la maman du “nouveau né“ qui l’interrogeait quant au sexe de l’enfant.
-“Alors, Docteur ? Pourquoi vous êtes tout blanc ?“…
– “Eh bien, Madame, il va vous falloir beaucoup de courage… ainsi que du collyre… car c’est une paire d’…“
– “Un garçon ! Je vais l’appeler Krys ! A l’américaine !“
– “… je vous conseille un autre prénom pour éviter les quolibets.“
Ce n’est qu’après que la malheureuse a compris pourquoi le médecin avait fondu en larmes en lui tendant son “enfant“. Les gros yeux bleus de Gilles fixaient ceux de sa maman avec une infinie tendresse fournissant de gros efforts pour tenir relevées ses imposantes paupières semblables à des volets roulants en PVC. Une larme se forma au coin de son œil imposant, ce qui provoqua une petite inondation rapidement maîtrisée par les services techniques de la maternité.
Une mère étant une mère, celle-ci décida de l’élever comme n’importe quel autre enfant en espérant que son physique ne l’empêcherait pas d’avoir un vrai métier ainsi qu’une vie normale. Sa mère étant séparée d’avec son père, il semble que le jeune Gilles n’ait pas eu à souffrir d’un double foyer. Il s’avéra même que l’enfant ne se débrouilla pas si mal à l’école récoltant les meilleures notes dans les matières où l’observation était une qualité nécessaire. Il n’y a qu’en sport où, mis à part le tir à l’arc, Gilles n’était pas à son aise.
L’enfant grandit et les différents organes absents à sa naissance se développèrent tardivement mais de façon presque normale. Sa maman poussa Gilles à embrasser la carrière d’ophtalmologue ou d’opticien mais celui-ci ne voulait pas faire commerce de sa particularité physique et préférait tenter sa chance dans le domaine artistique. Le cinéma fantastique accueillit Gilles les bras grands ouverts et il obtint le premier rôle dans “Le Cyclope contre les Aliens“ de Brad Travies. Il enchaîna ensuite les films où son “talent“ fit merveille : “Les Yeux Noirs“, “La Colline a des Yeux“, “Rien que pour vos Yeux“, “Les Yeux de la Mort“, “L’œil du tueur“, “L’œil du Tigre“, “Globulos contre Docteur Savage“…
Il fût même récompensé à Cannes dans la catégorie “Un certain regard“ (catégorie qui lui va comme une paire de lunettes sur le nez de Stevie Wonder) pour son interprétation dans “L’Œil du Monocle“. Fatigué de n’être qu’un “regard“, il s’est tourné vers le théâtre où il démontre à chaque représentation l’étendue et la diversité de son effroyable talent. Il travaille actuellement à l’adaptation d’une pièce de Labiche “La poudre aux yeux“ qui sera sponsorisée par les Ciments Lafarge. Je vous invite à vous rendre sur son blog (colonne de droite) pour approfondir la connaissance de ce personnage que j’ai l’honneur de compter parmi mes connaissances.
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